Life is adventurous. Be aware it's dangerous.

Plume Rousse avait traqué sa proie pendant de longues heures, la suivant furtivement, sans jamais se faire repérer. Ses mouvements étaient agiles, rapides, elle avait la discrétion d’un fauve, la malice du renard. Tapie dans l’obscurité, elle s’immobilisa, seuls ses yeux verts perçaient et fixaient intensivement le gros mulot qui se trainait dans l’herbe, nonchalamment. Aplatie sur le sol, elle engagea ses pattes arrière sous son ventre, en une fraction de seconde, elle bondit telle une gazelle et s’abattit sur l’animal. C’est à peine s’il eut le temps de réagir, il était déjà trop tard. Il partit le plus vite qu’il put mais la chatte planta avec précision ses griffes dans son dos et le ramena vers elle d’un geste brusque. Il gigotait encore devant son nez. Louchant presque sur la frêle bestiole qui s’en réduisait à se débattre piteusement, elle lui assena un coup fatale, droit et sans pitié. C’était son petit plaisir à elle. Partir pendant des jours, s’il le fallait, pour traquer des bêtes, les poursuivre sans relâche, atteindre ce sentiment de satisfaction quand on a enfin réussit à l’avoir, ou au contraire, laisser partir sa proie, en ayant l’étrange impression de lui avoir sauvé la vie, alors qu’on l’avait juste épargnée. Se sentir tout puissant par rapport aux autres vies inférieures. L’élégante féline se redressa et contempla le cadavre qui gisait devant elle. Le museau au vent, elle pensait à tout et à rien, le silence de la nature régnait sur cet endroit, un silence rythmé par le bruissement des feuilles d’arbres, le chant des quelques oiseaux et leurs gracieux battements d’ailes. La clairière était douce et apaisante, une faible lumière dorée se propageait et réchauffait un peu les cœurs emplis de solitude. Un immense chêne se dressait à son centre, il imposait le respect et semblait avoir vu toute l’histoire se défiler devant ses yeux. Elle plissa les yeux et ramassa le corps inerte entre ses dents acérées, plantant amèrement ses canines dedans. Plume reprit la marche, son épais pelage automnale se mouvant au rythme de ses pas. Elle aperçoit un de ses congénères un peu plus loin, s’apprêtant à rebrousser chemin, elle se stoppa, observant la scène. C’était un jeune chat bicolore qui chassait lui aussi. Sa proie était apparemment une souris, mais quelqu’un d’autre l’avait prise en chasse. Le chat s’élança, tentant d’atteindre la chouette mais se manqua et glissa, et celle-ci repartit avec le rongeur. Lui, avait l’air désespéré. La rousse eut quelques hésitations, puis soupira et partit dans sa direction. Arrivée à quelques mètres de lui, elle lâcha son déjeuner et lui lança :

« Relève-toi. Sois fier même dans la défaite. »

Elle ne s’avait même pas pourquoi elle était venue le voir, elle évitait pourtant comme la peste les relations sociales, et pour une fois que ce n’était pas l’autre qui était venue vers elle, c’était elle qui venait le voir. Elle se sentit soudain bête et détourna le regard. Qui était donc son énigmatique interlocuteur ?

Pourquoi doit-on toujours se justifier, comme si l’on devait s’excuser d’apprendre ?

Plume Rousse se retourna vers lui une seconde fois. Son regard plein de doutes, cette âme tourmentée, elle l’aurait reconnu entre mille. C’était Nuage Chaotique, son apprenti. Bien qu’elle passait son temps à le réprimander, il était la seule personne à qui elle vouait de l’affection. Et cela l’effrayait, elle ne voulait pas entrainer ce jeune chat dans sa malédiction, elle craignait de le mener à sa perte plutôt que de l’aider dans la vie. Pourquoi la mort rodait toujours autour d’elle, c’était pire que de mourir elle-même, comme si quelqu’un lui voulait du mal, et tuait tous ceux à qui elle tenait. Alors elle tentait de cacher ses sentiments, de fuir. Mais pour l’honneur de son clan, elle se devait d’être mentor, de léguer ses grandes aptitudes à la prochaine génération. Elle regardait le chat bicolore dans les yeux, entre le remord et la joie, une sorte d’excuse épineuse, d’un remerciement empoisonné. Elle ne pouvait rien lui dire, de toute manière, elle avait trouvé une solution pour lui. Elle n’était pas sure que cela marcherait, mais elle s’en persuadait tout de même. Pour le moment, elle devait juste lui apprendre. Chaotique avait un grand potentiel inexploité, elle en était convaincue, et c’était son rôle de le découvrir au grand monde. Il s’aperçut alors de sa présence, reconnut sa voix surement. Et il lui répondit, amèrement. « Tu veux que je sois fier de quoi ? De mon inaptitude à la chasse, de mon incapacité à prouver que je suis intègre au Clan du Tonnerre ou peut-être encore de ma qualité exceptionnelle de rater tout ce que j'entreprends ? » Il était parfois insolent, mais elle faisait l’impasse, elle savait aussi qu’elle était dure avec lui, mais c’était pour son bien. La chatte rousse fit une moue étrange, entre le sourire et l’exaspération. Elle se releva et marcha vers lui. Elle colla son front contre le sien, plantant ses yeux lunatiques dans ceux de son apprenti, sans relâcher la tension, elle lui dit :

« Sois fier de ce que tu entreprends. Persévère ! Et n’aie honte que quand tu arrêteras d’espérer. »

Elle parlait d’une voix forte, assurée, elle n’était pas en colère mais ses pensées étaient claires et précises, et il se devait de comprendre le message qu’elle lui faisait passer. Maintenant, elle devait lui faire passer un entrainement digne de ce nom, elle devait le pousser jusqu’à ses limites. Car si elle le laissait maintenant, il était fini, il allait se renfermer sur ses performances et son esprit allait abandonner la bataille. Il lui fallait un électrochoc, elle devait lui montrer qu’il pouvait réussir, qu’il devait connaître ses défauts et les qualités dont il pouvait tirer profit. La rousse se dégagea et partit en une direction très précise. Elle savait.